Manifeste
pour un libéralisme théologique
renouvelé
Quel est l'avenir
du libéralisme
en théologie ? Où sont les pistes à explorer ?
Sur quels chemins de pensée est-il bon de nous aventurer ?
Quels sont les risques à encourir et les obstacles à contourner
ou surmonter ? Voilà des questions que les libéraux
se poseront, sans doute, jusqu'à la venue du Royaume.
Il est hâtif et difficile d'aborder
ces interrogations en faisant mine d'être dégagé de
tout contexte. Ce que nous vivons nous interpelle, parfois
avec violence. Et même quand l'existence paraît
calme, la pratique nourrit la réflexion. Méditer
sur la nature du libéralisme implique de prendre en
compte le monde dans lequel nous sommes inscrits. Pas une
de nos paroles ne saurait lui échapper. Nous sommes
situés. Nos mots sont datés. Nous ne défendons
pas pour autant une approche supposée empirique. L'empirisme
a le défaut de croire qu'il est possible. Mais il
repose toujours sur des présupposés. Cependant,
un libéralisme qui ne se confronterait pas à la
culture serait une coquille vide. Il n'en subsisterait qu'une
scolastique libérale. N'oublions jamais le reproche
adressé, au cours de notre siècle, à certains
libéraux, notamment Allemands. Se retrancher dans
l'unique sphère des idées conduit à oublier
le monde. Examiner ses propres présupposés -
même s'il est toujours bon de s'efforcer de les clarifier -
risque de nous détourner de la construction du Royaume.
Nous devons songer aux conséquences pratiques de nos
paroles. Le contexte existe. Le nier conduit à ruiner
le libéralisme comme tel. Il faut donc maintenir le
double souci de nos paroles et de leur impact. Le libéralisme
doit se questionner sur ces deux plans. Cela dit, un effort
de pensée ne saurait s'en tenir à l'examen
de variables locales. Dans l'histoire, tout n'est pas nécessaire.
Il y a du contingent, de l'accessoire. Le plus difficile
reste d'ailleurs de démêler l'essentiel du secondaire.
Bultmann avait bien décelé cette difficulté :
porter un regard sur l'histoire, c'est risquer d'entrer dans
l'illusion - celle de détenir pour soi-même
la capacité de départager le révélateur
du contingent. Cependant, nous pouvons étudier des
phénomènes transversaux. Il est possible de
nous mettre en quête des révélateurs
de notre temps. Nous en percevons un, qui semble redoutable.
Il est le plus formidable défi adressé aujourd'hui
aux libéraux. Il peut être exprimé par
cette simple question : Quelle est, pour nous, la pertinence
du libéralisme théologique, dans le monde d'aujourd'hui ?
Nous pourrions généraliser
cette question : avons-nous encore une parole susceptible
de concerner, non pas tel ou tel point mineur, mais véritablement
l'ensemble de la culture ? Cela n'a de sens qu'à ajouter
immédiatement que parler de culture revient à impliquer
les multiples aspects de l'existence humaine : social,
culturel, économique, ecclésial, politique,
philosophique, théologique, etc. La question qui se
pose à nous est donc celle de la mise en place d'une
nouvelle anthropologie. Ou, pour le dire autrement :
la mission du libéralisme est de forger une phénoménologie
universelle de la foi, qui rende compte de l'existence humaine
dans une culture devenue plurielle. Voilà qui est,
probablement, moins simple que nous pourrions le croire.
Car il est alors nécessaire de distinguer deux types
de libéralisme. Nous n'évoquons pas seulement
la mise en garde, désormais classique, consistant à départager
avec force l'application du libéralisme en théologie
et celle que l'on revendique, parfois, dans le domaine économique.
Il suffit de reprendre le concept de libéralisme élaboré par
les Lumières ou par Kant, pour montrer combien la
revendication politique du terme revient à en ruiner le sens. N'oublions
pas la signification première du libéralisme en politique. Il participait
jadis d'une lutte contre tout esclavage. Le mot aura subi une singulière
distorsion. Cela arrive fréquemment en politique. Le communisme a été,
parfois, la négation la plus virulente de la dimension communautaire ;
appliqué à la seule économie, le libéralisme, s'il
n'est pas assorti d'une protection des personnes, ruine tout libéralisme éthique.
Quand il s'agit des humbles, c'est la loi qui libère et la liberté qui
opprime (comme l'affirmait Lacordaire). Ne l'oublions jamais.
Mais la confusion que nous voulons dénoncer
ici est autre. Elle est probablement plus insidieuse. Elle
est nourrie par une époque où resurgit la tentation
d'évaluer les êtres et des choses de manière
purement formelle. L'attitude prime souvent sur le débat
d'idées. Le comportement l'emporte sur ce qui le sous-tend.
L'appréciation morale prend le pas sur l'exigence
intérieure.
Dans le mensuel Evangile et Liberté,
quelques paroles du pasteur Michel Bertrand, président
du Conseil national de l'église réformée
de France, donnent à réfléchir : "Nous
pensons trop souvent que celui qui affirme une conviction
doit nécessairement être quelqu'un d'intolérant.
Et, du coup, nous taisons ce que nous croyons, de peur de
l'imposer aux autres. Nous demeurons silencieux, alors même
que la Parole est attendue de nous, alors qu'il faudrait
risquer des mots et des actes pour protester publiquement
et clairement de la vérité qui est en Christ,
au coeur des questions et des défis de ce temps. Car
la véritable tolérance n'est pas l'indifférence." Le
phénomène décrit par Michel Bertrand
est transversal. Nous pouvons l'appliquer à nombre
de situations locales. Ses paroles témoignent amplement
du malaise et de la confusion qui marquent notre temps. Les
présupposés d'une époque consensuelle
ont une double action. Ils stérilisent l'intelligence
et paralysent la volonté. Dans ce contexte, deux types
de libéralisme peuvent être esquissés.
Le premier résiderait dans le geste de la tolérance ;
le second dans la capacité de combattre pour l'ouverture
de nouveaux itinéraires de pensée. Entendons-nous :
ces deux libéralismes sont louables. Ils ne sont pas
incompatibles. Nous oscillons souvent entre les deux. Mais
il nous revient probablement de nous décider, aujourd'hui,
entre un libéralisme de la forme et un libéralisme
de la force.
Un libéralisme que nous pouvons
dire formel conduit à relativiser l'ensemble des points
de vue. Il se réclame de la tolérance. Il postule
la possibilité de parvenir à un accord. Il évite
ce qui blesse. Il récuse comme identitaire ou sectaire
ce qui lui semble interpeller trop vivement. Il désire
la paix des consciences, et la paix des ménages. Le
geste de ce premier libéralisme n'est pas dénué de
grandeur. Il est louable, de par son parti pris d'accueil
de l'autre, et de respect de toutes les opinions. Mais il
est aussi incomplet et insatisfaisant. Dans sa volonté de
tolérance, il rate trois nécessités
de la conscience. Tout d'abord, il se dégage de la
culture. Il proclame des valeurs. Il s'attache à leur
transmission. Mais il oublie de regarder le monde. Il détourne
le regard devant l'engagement nécessaire de la parole,
et le risque qu'elle comporte. Il se réfugie dans
l'abstraction. Il évite de poser cette question : "Que
voulons-nous pour le monde de demain ?" Une telle
question relativise en retour l'ensemble de nos valeurs.
Elle nous oblige à sortir de nous-mêmes, pour établir
un mouvement de va-et-vient entre notre pensée et
le monde.
L'une et l'autre peuvent, et doivent, en
sortir transformés.
En voici un exemple parmi d'autres. Certains
proches se proclament libres et de bonnes moeurs. Voilà qui
est fort bien. Mais comment ne pas interroger la signification
d'une liberté dont on ne dit ni à l'égard
de quoi ni en vue de quoi elle existe ? Et si l'on s'en
tient aux bonnes moeurs, on prend le risque d'en revenir à la
simple forme de la légalité. Il y a, au-delà de
l'affirmation des valeurs, des questions plus essentielles.
Celle du devenir collectif mérite d'être posée.
Et l'on peut préférer, dans certains cas, une
relative compromission, quand elle advient au nom d'idéaux élevés.
Deuxième limite d'un libéralisme formel. En
s'attachant à l'attitude de tolérance, il brandit
le mot d'ordre du pluralisme pour en faire un usage éthique.
Par là , il en vient à nier le travail de pensée.
Le libéralisme formel évite cette deuxième
interrogation : "Quel est le questionnement qui
nous fait vivre ?"
Le pluralisme est nécessaire à toute
collectivité. Il est même davantage que nécessaire :
il existe. On ne peut que le constater. Il faut le défendre.
Mais on doit savoir et reconnaître qu'il en existe
aussi un usage nocif.
Si le pluralisme doit conduire à rejeter
toute parole forte, il détruit de l'intérieur
la possibilité même de la pluralité.
Le paradoxe n'est qu'apparent. Il n'implique aucune contradiction
logique. Nous tenons que l'humanité est plurielle.
Mais l'évocation du pluralisme peut cacher l'exclusivisme
le plus retors. Il suffit de songer à la façon
dont les pensées philosophiques ou théologiques
qui récusent le consensus et n'entrent pas dans les
cadres préétablis de ce qu'on appelle "l'éthique
de la discussion" se retrouvent marginalisées,
aujourd'hui. On le constate aussi bien en philosophie qu'en
théologie, ou dans les domaines où la réflexion
est nécessaire.
Le pluralisme tolérant des cerveaux éclairés
a pris la place du classicisme le plus statique. La pensée
en ressort mortifiée et statufiée. Songeons à ce
qui fut dit à Beethoven, à propos de l'une
de ses oeuvres : "c'est sublime, mais il ne faut
pas écrire de la musique ainsi." Et mettons-le
en parallèle avec ce que l'on entend dire à propos
de Derrida : "ce n'est pas de la philosophie." Un
libéralisme formel conduit à dessiner une nouvelle
orthodoxie, d'autant plus dangereuse qu'elle ne dit pas ce
qu'elle est. Troisième remarque, et troisième
limite de ce premier libéralisme. Il est marqué par
une attitude de repli. Fort d'un savoir qu'il prétend
détenir, fort de se présenter comme détenteur
d'une solution, il ne s'interroge plus sur ce qu'il a à dire
au monde. Il apporte ses valeurs. Il affirme qu'il est bon
de les transmettre. Il évite cette troisième
interrogation : "Quelle est la pertinence de mon
message, dans le monde contemporain ?" Il nous
faut être clairs. Si la théologie libérale
n'a de sens qu'à affirmer des valeurs et se mettre
en quête d'un nouveau consensus, nous ne voyons pas
ce que le christianisme apporte. Mais s'il s'agit de s'attacher à la
liberté de conscience et de mener, en son nom, les
combats qui lui sont nécessaires, alors le lien avec
l'évangile, pour nous, est évident. Car défendre
la liberté de conscience sera toujours oeuvrer pour
l'accueil de la grâce. Le vieux mot de salut recouvre
en vérité l'action libératrice qui seule
permet aux consciences humaines d'être libres. On ne
l'accomplit pas à la place de Dieu. Mais on peut toujours
se préparer à l'accueillir. On peut lui offrir
un terrain favorable, à condition de ne pas se détourner
du monde.
Venons-en à un autre versant de
cet itinéraire, en reprenant les trois questions évoquées
ci-dessus. "Que voulons-nous pour le monde de demain ?", "Quel
est
le questionnement qui nous fait vivre ?", "Quelle est la pertinence
de notre message, dans le monde contemporain ?" Ces questions, nous
devons les laisser entièrement ouvertes. Nous n'avons pas de réponse
formelle à proposer. Mais elles indiquent l'immensité de la tâche
et l'inlassable nécessité de repenser et retraduire les catégories
de nos affirmations.
Où trouverons-nous, dans quels ensembles
culturels, philosophiques, théologiques, prospectifs,
les concepts nécessaires à la proclamation
de notre message ? Comment découvrirons-nous
les mots nous permettant de dire la théologie, à l'aide
de termes qui ne soient plus des obstacles à la foi ?
Où sont, dans quel langage ou quelles modalités
de parole, les reprises possibles et les inventions nécessaires ?
Quelle culture nous faut-il inventer, pour répondre à la
double exigence de l'appel de nos contemporains et du monde
que nous voulons construire ? Toutes ces questions sont
liées. Elles façonnent un ensemble qui constitue
le coeur et le moteur de la théologie libérale,
non pas celle de la forme, mais une théologie de la
force - celle dont nous avons la conviction qu'il faut
l'écrire, mais qu'à jamais elle restera à écrire.
Fondamentalement, cela nous reconduit à la question
pratique. Qu'implique la volonté de repenser une culture
et d'oeuvrer dans le monde ? Nombre de découvertes
sont à faire ; nombre de sentiers à explorer.
Il y a, bien entendu, les concepts nécessaires. Nous
devons les forger ou les piocher çà et là.
Nous ne construirons plus des systèmes. L'époque
en a trop montré les limites. Mais nous avons besoin
de protocoles de pensée, de protocoles de lecture,
d'un ensemble de traits ne se repliant pas en un système. à chacun
d'adopter ceux qui lui correspondent et entrent en résonance
avec sa propre sensibilité.
Nous avons besoin d'espaces de débat.
Le temps est révolu où l'acte de pensée
s'avérait un travail de solitaire. Aujourd'hui, c'est
la mise en débat qui permet l'ouverture de chemins
nouveaux. Nous avons besoin d'un travail d'écriture,
de diffusion, de transmission de la pensée. Il n'y
a là rien de nouveau. Depuis toujours, l'écriture
est le rempart des apôtres de la liberté.
Par-dessus tout, nous avons besoin de nous
montrer fidèles à ce dont le présent
hérite. Nous ne pouvons, pour nous, que songer au
programme du Synode constituant de l'ancienne Union libérale
Française. Le 21 juin 1907, le Synode constituant
de l'Union des églises réformées avait
adopté trois mots d'ordre, synthétisés
par le pasteur élie Gounelle.
1. Avoir la volonté,
et même vivre comme un devoir, la nécessité de
créer des styles nouveaux et originaux d'évangélisation.
2. Oeuvrer pour que la foi redevienne aussi
jeune, aussi simple, aussi vivante qu'aux premiers jours.
3. Travailler à la
réconciliation de la pensée moderne avec l'évangile.
Quatre-vingt douze ans plus tard, nous
n'avons rien à y ajouter. Tant que nous maintiendrons
que la pensée est nécessaire à la foi,
nous n'aurons qu'à explorer les mêmes problématiques.
Nous mènerons les mêmes combats. Nous redécrirons
le parcours de ceux qui nous ont précédés.
Seule changera l'apparence extérieure des combats à mener.
Mais la liberté de conscience restera le seul principe
indispensable à la respiration d'un christianisme
libéral. Et ce principe, quoi qu'on en dise, est encore
loin d'être acquis. Nous le conforterons en frayant
de nouveaux chemins de pensée, fidèles au passé,
ouverts à l'inattendu qui vient de Dieu.
Document theolib
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Date : 03-02-2007
Titre de l'article : Théolib
Nom ou Pseudo : Jacques Cécius
Pays : Belgique
Email : j.cecius@versateladsl.be
Réaction : Article très, très intéressant.
Oui, il y a un libéralisme dangereux pour la foi. Un libéralisme qui conduit
à l'agnosticisme spiritualiste. Qui ne retient que le message moral du
Christ, tenant le reste de l'Evangile pour légendaire. Niant la
Résurrection, sans laquelle le christianisme serait resté une belle morale,
et rien d'autre. Mais les belles morales n'avaient pas besoin de Jésus.
Avant lui, et après, il y en eut d'autres, très belle, mais qui ont disparu,
et qui, de sourcroit , n'étaient pas capables de donner une espérance à
l'homme.
Notre espérance ne réside-t-elle pas dans l'eschatologie, comme l'a écrit
Moltmann ("Théologie de l'espérance", éd. du Cerf; publicité non payée!).
Après avoir professé un libéralisme unitarien j'en suis arrivé, aujourd'hui
à me définir comme évangélico-libéral, c'est à dire rejetant les outrances
du protestantisme évangélique, mais rejetant également une foi sans Christ,
Fils du Père, qui, par amour a donné sa vie pour nous. Rejetant aussi la
doctrine de l'expiation sanglante indispensable pour que l'homme soit sauvé.
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